Qui est Maya Dbaich?

Par Nisrine Salaqi

« Très jeune j’ai réalisé que beaucoup de Marocaines subissaient des exactions aussi bien chez elles que dehors »

Danseuse, libre penseuse et influenceuse sans filtre, Maya Dbaich secoue les normes avec aplomb. Entre franc-parler et sarcasme, elle invite ses consœurs à s’émanciper, corps et âme. 

Maya Dbaich n’a pas besoin de porte-voix pour faire entendre sa vérité. Elle la crache, brute, sans passer par les détours de la bienséance. Danseuse, mais surtout femme debout, elle revendique une liberté totale : de ton, de corps, de penser. Depuis ses premiers lives sur Facebook jusqu’à ses prises de parole enflammées sur les autres réseaux, elle refuse la soumission déguisée en tradition. Maya agace, fascine, dérange et tant mieux ! Car à travers ses mots, ses mouvements et sa colère maîtrisée, elle pousse certaines à tomber les œillères pour reprendre leurs vies en main.

 

Dans quel genre de familles avez-vous grandi, une où les femmes avaient leur mot à dire ou étaient-elles plutôt effacées ?

Je viens d’une famille de « ms3ass3ine », le terme le plus juste pour décrire la toxicité du clan. Mon père était bienveillant mais ferme. Ce qui était normal venant d’un commandant de la gendarmerie royale, mais ma mère avait son mot à dire et lorsqu’elle parlait ou prenait une décision, il ne renchérissait pas…

 

Vous êtes connue pour vos positions tranchées sur les rapports hommes/femmes, d’où cela vous vient-il ?

Du fait que j’ai vu beaucoup d’injustices au sein de ma famille et dans le couple que formaient mes parents. J’ai été témoin de situations empreintes de hogra et je trouvais bizarre que ma mère puisse accepter de telles choses, en dépit de sa position et de son caractère fort. Très jeune j’ai réalisé que beaucoup de Marocaines subissaient des exactions aussi bien chez elles que dehors.

 

Vous êtes une militante 2.0, vous ne mâchez pas vos mots, est-ce une manière de remettre un peu les choses en place ?

Tout à fait, il fallait bien que quelqu’un commence à parler ! Je me suis lancée en 2016 après la prononciation de mon 3ème divorce. Il n’y avait que Facebook à l’époque et de temps à autre je tombais nez-à-nez avec des questions émanant de femmes complètement perdues, abandonnées et maltraitées. Je me suis dite « ça continue encore ? Il va falloir que je parle de ce qui se passe, de la nouvelle Moudawana, de la société et que j’aide mes concitoyennes à ouvrir les yeux.

 

Dans une société où tout semble dire aux femmes : “fais moins de bruit, couvre-toi, sois sage”… Qu’est-ce que cela veut dire, pour vous, la liberté ?

La liberté à mon sens c’est l’indépendance financière, la santé, le respect que j’ai pour moi-même, car le regard des autres est le cadet de mes soucis ; en gros de pouvoir décider ce que je veux, quand je le veux.

 

Cette liberté, on la dit provocante, excessive, “trop” pour beaucoup. Est-ce une posture ? Ou êtes-vous simplement fidèle à vous-même ?

Je suis fidèle à moi-même. C’est ainsi depuis des années, j’ai travaillé d’arrache-pied pour pouvoir embellir ma liberté et la savourer chaque jour que Dieu fait.

 

Au Maroc le corps de la femme est contrôlé et ne lui appartient pas. Votre corps est votre outil de travail, mais aussi le centre de la polémique. Pourquoi dérange-t-il autant ? Diriez-vous qu’il est devenu un espace de résistance ?

Le corps de la femme dérange tout le monde (rires). La femme dérange ! Les gens ne se rendent pas compte dans un pays comme le nôtre, que le seul fait d’exister, de parler ou de prendre position incommode. Si mon corps pose problème aux « bien-pensants » c’est parce que j’ai osé faire un travail qui nécessite de le bouger, de l’exhiber, de créer une symphonie et des mouvements avec. Cela plaît et trouble en même temps. Je résiste !

 

Vous prenez-la parole sur des sujets sensibles : religion, sexualité, violence, liberté… Quelques-uns vous reprochent de ne pas être “légitime”, puisque vous êtes danseuse et pas journaliste par exemple. Que leur répondez-vous ?

Je leur dis « Essayez donc de me faire taire, de contrôler mes mots, de m’interdire de penser, de réfléchir, de partager, d’aider. Ce ne sera pas possible ».

 

Vous sentez-vous concernée par le mot “féminisme” ? S’il vous dérange, lequel préféreriez-vous ?

Ce mot commence à me déranger. Avant oui, je me considérais comme féministe, aujourd’hui un peu moins. Je suis plutôt dans la quête d’un équilibre. Je pioche dans une énergie féminine et masculine et respecte cette harmonie. A féminisme je préfère réalisme. C’est un mot qui me parle beaucoup plus…

 

Si on vous dit : “Votre liberté fait peur”, vous répondez quoi ?

Il faut se libérer de cette peur. Nous n’arrivons à rien en ayant peur, il n’y a aucun épanouissement possible si nous la laissons nous saisir, aucune évolution et pas plus de respect.

 

Pourquoi autant de femmes se sentent obligées d’adopter une attitude soumise, de ne pas montrer leur force, leur potentiel devant un public masculin. Est-ce que cela ne les dessert pas au final ?

Cela est dû à un manque de confiance en elles, d’indépendance financière, existentielle et mentale. Il y a un manque dans la personnalité de certaines, qui les pousse à avoir ce comportement. Elles ne travaillent pas sur elles-mêmes et c’est la raison pour laquelle elles souffrent autant. Nous sommes le problème, nous avons perdu notre force, notre sagesse et notre féminité. C’est triste mais c’est ainsi.

 

Vous êtes la seule artiste féminine à oser vous affirmer comme vous le faites, pourquoi les autres préfèrent-elles rester en retrait du militantisme de genre?

Parce que c’est très difficile. Il faut une sacrée force mentale et un caractère bien trempé pour avancer sur cette voie. Cela a été destructeur pour moi à un moment donné ; Mais je suis toujours là à militer, encourager et soutenir ma communauté.

 

Y a-t-il une anecdote, une situation vécue où vous avez particulièrement ressenti de la misogynie, du machisme ou de la discrimination de genre ? Quelle a été votre réaction ?

Je suis passée par toutes les réactions imaginables : la colère, l’agressivité, la méchanceté. Il faut le dire. Aujourd’hui je me contente de sourire, je ne cherche plus à décrypter ou à déceler la misogynie. J’ai construit tout un royaume autour de moi et en moi. La négativité ne m’atteint plus.

 

En tant que danseuse, votre art est parfois sexualisé ou mal perçu. Comment gérez-vous cette ambiguïté entre célébration du corps et regard social ?

Je m’en fiche. Je ne gère plus rien. Je suis ce que je suis. Ceux qui apprécient tant mieux pour eux, les autres tant pis ! Je ne danse, ni ne partage pour plaire. Je le fais parce que c’est moi…

 

Le Code de la famille est en pleine réforme. Qu’attendez-vous de cette révision ?

Honnêtement, rien. Je suis convaincue que si toutes les femmes reprenaient les choses en main, leur force mentale et physique ainsi que leur sagesse, nous n’aurions pas besoin d’une réforme. Si notre société préparait des femmes solides, la Moudawana et ses amendements seraient vidés de leur sens.

 

Quelles sont, selon vous, les priorités pour faire avancer l’égalité des sexes au Maroc ?

L’éducation, l’éducation, l’éducation, autant que faire se peut et dans tous les domaines (intellectuel, sexuel, social, physique…). C’est à cela qu’il nous faut nous raccrocher. Nous devons construire des générations solides, respectueuses et responsables. L’éducation est donc un passage obligé et salvateur.

 

Qu’aimeriez-vous transmettre aux jeunes femmes qui veulent être elles-mêmes mais qui ont peur du jugement ?

Encore une fois, la peur se travaille. C’est la première des choses à faire. Il s’agit d’un engagement envers soi-même, pour se débarrasser de ses croyances limitantes. On peut se servir parfois de sa peur, mais elle ne doit jamais devenir un handicap.

 

Si vous en aviez l’occasion, quels droits défendriez-vous ou quels changements de loi demanderiez-vous en faveur des femmes ?

L’interdiction du mariage au moins de 25 ans ! L’interdiction du mariage à toutes celles qui ne sont pas indépendantes financièrement. L’interdiction du mariage si les dossiers des futurs conjoints ne sont pas complets (bilan sanguin, bilan psychiatrique, casier judiciaire, historique financier). Quand on voit toutes les catastrophes qui se produisent justement, parce que rien n’a été vérifié en amont et comment de nombreuses femmes se retrouvent otages du pire ensuite, ce n’est pas de trop…

 

Vous vivez aux USA aujourd’hui, on a beau penser que les droits des femmes sont bien respectés dans un pays comme celui-ci, il y a sûrement des manquements, un sexisme sournois dans plusieurs situations. L’avez-vous remarqué ?

Il existe partout des femmes victimes du sexisme commun. Dans mon cas, je ne l’ai pas remarqué, mais il faut dire que je vis assez isolée et cela me convient très bien.

 

Si vous étiez quelqu’un d’autre, qui seriez-vous ?

Moi-même. La femme que je suis me rend fière. Je suis fière de ses accomplissements. La vie n’est pas rose tous les jours, mais je m’en contente et je la vis bien.

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Direction artistique : Domizia Trenta
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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Dossier de presse numero 26/2023

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