En finir avec la polygamie

Par Camélia Echchihab

El Jadida, janvier 2025. Un homme a tué sa femme parce qu’elle refusait qu’il prenne une deuxième épouse. La nouvelle n’a guère fait de bruit : quelques articles de presse se sont contentés de relayer les faits. Et pourtant… ce crime devrait nous faire réfléchir, en pleine période de réforme de la Moudawana.

Au Maroc, selon les années, jusqu’à 1% des mariages sont polygames. Entre 2017 et 2021, près de 20.000 hommes ont déposé une demande pour un second mariage auprès de la justice, qui en a autorisé près de 40%.

En réalité, on devrait plutôt parler la polygynie, plutôt que de polygamie ; car c’est un droit strictement réservé aux hommes, qui a été pratiqué dans plusieurs cultures. Chez nous, on s’inspire du verset 4;3 du Coran, qui s’adresse ainsi aux hommes : « Et si vous craignez de n’être pas juste envers les orphelins… Épousez deux, trois ou quatre parmi les femmes qui vous plaisent, mais si vous craignez de n’être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire d’injustice ». La polygynie est donc immédiatement assortie de contraintes, complétées plus loin : « Vous ne pourrez jamais être équitables entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux. Ne vous penchez pas tout à fait vers l’une d’elles, au point de laisser l’autre comme en suspens. Mais si vous vous réconciliez et vous êtes pieux… [alors] Allah est, certes, Pardonneur et Miséricordieux ».

La polygynie est donc encadrée par la loi. Pour garantir son caractère exceptionnel, elle nécessite une autorisation judiciaire. L’homme doit prouver qu’il dispose de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de toutes ses épouses et enfants, et qu’il peut leur offrir des logements séparés. Mais surtout, il est censé obtenir le consentement de sa première épouse devant le tribunal. Si elle refuse, elle peut demander le divorce.

Il suffirait donc, pour préserver le bien-être de toutes, de conditionner la polygynie au consentement de la première épouse ? La réalité est toute autre. Car au Maroc, plus d’une femme sur deux subit des violences physiques, psychologiques, économiques ou sexuelles de la part de son mari. Peut-on exprimer librement son refus ou son accord… sous emprise psychologique ? sous la menace des coups ? en étant dépendante, financièrement, de son mari ? Impossible d’ignorer cela : le HCP et les associations féministes ont mené suffisamment d’études pour révéler la nature et l’ampleur des violences conjugales dans le Royaume.

La nouvelle réforme continue pourtant dans le déni. Déjà, en nous présentant une « nouveauté » qui n’en est pas une : la possibilité, pour les femmes, d’interdire la polygynie dans le contrat de mariage… qui existe déjà depuis 2004. Et puis, parce que les hommes qui font les lois sont particulièrement généreux et soucieux du bien-être de « LA » femme – comme ils disent – la polygynie ne sera désormais autorisée que dans deux cas spécifiques : la stérilité de la première épouse, ou son incapacité à avoir des rapports sexuels. Devons-nous vraiment nous réjouir d’être réduites à deux fonctions : poule pondeuse ou poupée gonflable ?

Répétons-le une dernière fois. Le mois dernier, un homme a tué sa femme parce qu’elle refusait qu’il prenne une deuxième épouse. Certains diront que ce n’est pas la faute de la loi. Que même si la polygynie était interdite, les hommes continueraient de la pratiquer illégalement, par mariage coutumier. Un argument valable en 2004, mais aujourd’hui périmé 20 ans après. Nous n’en sommes plus à l’étape de la restriction. Le moment est venu d’assumer l’envoi d’un signal clair à notre société : arrêtons de consacrer l’objectivation des femmes. Interdisons la polygynie.

 

*Journaliste engagée, Camélia Echchihab a créé la page Instagram «Féminicide marocain» pour documenter et dénoncer les féminicides au Maroc. À travers son travail, elle milite pour la reconnaissance de ces crimes comme un phénomène systémique et plaide pour une couverture médiatique plus responsable. Avec sa chronique dans Egalitémag, elle poursuit son engagement en informant et en interpellant sur les violences de genre.

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Direction artistique : Domizia Trenta
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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Dossier de presse numero 26/2023

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