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Quand le livre s’en mêle : les inégalités sociales vues par les autrices

SARAH RAMI

Depuis plusieurs mois, libertés individuelles et droits des femmes sont au cœur de l’actualité du Royaume. Outre les revendications portées par la société civile, les écrivaines et autrices s’invitent également dans le débat, à travers leurs divers ouvrages.

Alors que le débat autour de la réforme du Code de la Famille et du Code Pénal bat son plein, nombreuses sont les femmes, qu’elles soient militantes ou professeures d’université, à avoir souhaité ajouter leur pierre à l’édifice du débat. Et ce, à travers leurs écrits, publiés dans différentes maisons d’édition à travers le Royaume, mais aussi à l’étranger. Depuis le début des années 2000, après que le marché du livre a été envahi par une vague de littérature carcérale, donnant lieu à des ouvrages devenus cultes de la littérature marocaine, les essais, romans et récits féministes se sont également multipliés dans les rayons de librairies. Si Fatema Mernissi, sociologue de référence, a été une précurseuse dans ce sens, la question épineuse des droits des femmes marocaines et de leur émancipation a depuis été envisagée par différentes plumes. Egalité Mag en a sélectionné six à découvrir ou à relire sans modération, afin de saisir les véritables enjeux de la condition des femmes marocaines.

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Une femme au pays des Fouqaha, l’appel du Houdoud, de Nouzha Guessous

Editions La Croisée des chemins, 2021

Au-delà de ses nombreuses publications et recherches dans le milieu académique, la chercheuse et essayiste en droits humains bioéthique Nouzha Guessous est principalement connue pour avoir été nommée en 2004 membre de la commission consultative de réforme de la Moudawana. C’est précisément de cette expérience qu’elle s’inspire pour écrire Une femme au pays des Fouqaha, qui croise les codes de l’essai et du récit personnel. En remontant jusqu’à ses souvenirs d’enfance pour raconter sa construction en tant que femme, puis en tant que militante féministe, Nouzha Guessous raconte en filigrane la rigidité des codes qui pèsent sur les femmes marocaines. Entre les lignes, la nécessité du changement s’impose comme une urgence qui résonne à chaque page. A travers le récit des coulisses des réunions de la commission de réforme de la Moudawana, Nouzha Guessous étaye avec rigueur et précision les obstacles qui ont empêché, il y a maintenant près de vingt ans, la mise en place d’une réforme plus ambitieuse du Code de la Famille, tout en proposant des pistes de réflexion pour les réformes à venir.

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Islam et libertés fondamentales, de Asma Lamrabet

Éditions En Toutes Lettres, 2023

Les travaux d’Asma Lamrabet constituent désormais une référence dans le long processus de réflexion autour de la condition des femmes marocaines et musulmanes. A travers ses différents ouvrages, tous munis d’un raisonnement rigoureux et appuyé par de solides bibliographies, Asma Lamrabet démontre comment l’oppression des femmes musulmanes relève plus de l’interprétation des textes religieux que des préceptes fondamentaux de la religion. Avec Islam et libertés fondamentales, Asma Lamrabet semble répondre à tous les détracteurs des libertés individuelles qui estiment que les droits revendiqués par les mouvements féministes entrent en contradiction avec l’Islam. L’essayiste propose une troisième voie qui puise ses fondements dans l’éthique, la justice et le respect, qui sont des valeurs communes au référentiel religieux et aux droits humains. Paru en mars 2023, le dernier essai d’Asma Lamrabet résonne profondément avec l’actualité sociale et politique du Royaume : de la même manière que ce fut le cas en 2004, l’argument religieux continue de représenter une impasse qui divise politiciens et militants progressistes. A travers cet essai, mais aussi les précédents, Asma Lamrabet nous rappelle la nécéssité de l’ijtihad – travail de réflexion et d’interprétation des textes religieux préconisé par l’Islam – face à la tentation du dogmatisme et de l’obscurantisme religieux, afin l’élaborer la vision d’une société plus juste pour toutes et tous.

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La Poule et son cumin, de Zineb Mekouar

Editions JC Lattès, 2022

Lutte de classe, avortement, sexualité, langues, privilèges sociaux… Le premier roman de Zineb Mekouar, paru en mars 2022 aux éditions JC Lattès, a le mérite de mettre le doigt sur un ensemble de sujets de société omniprésents dans le Maroc d’aujourd’hui. A travers l’histoire de Kenza et Fatiha, deux amies d’enfance séparées par des origines sociales qui s’opposent, Zineb Mekouar met la fiction au service de la lutte pour une société où liberté ne rime plus avec bourgeoisie. C’est que dans La poule et son cumin, les deux protagonistes vivent dans un même Maroc, mais dans deux pays différents : tandis que Kenza, issue d’une grande famille casablancaise, jouit des privilèges que lui octroie sa classe sociale, Fatiha mène une vie rythmée par les embûches. Agée de tout juste 30 ans lors de la publication de La poule et son cumin, Zineb Mekouar signe un premier roman qui croise les préoccupations d’une jeunesse marocaine en soif de liberté.

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Travailleuses invisibles, les métiers de la discrimination, ouvrage collectif

Éditions En Toutes Lettres, 2023

A ce jour, En Toutes Lettres est la seule maison d’édition marocaine à placer le journalisme d’investigation en plein cœur de sa ligne éditoriale. En résultent un ensemble de livres-enquêtes axés autour de différentes problématiques sociétales. Travailleuses invisibles, l’un des derniers ouvrages publiés par En Toutes Lettres, met en lumière la précarité dans laquelle sont plongées des centaines de milliers de Marocaines, souvent invisibilisées de par le corps professionnel auquel elles appartiennent. A travers huit enquêtes, réalisées par des journalistes professionnels et des lauréats du programme Open Chabab, le lecteur va à la rencontre de barmaids, d’ouvrières textiles, cheikhat, hôtesses de l’air, agentes de nettoyage en intérim, sardinières… Leurs témoignages sont poignants, et permettent de lever le voile sur un quotidien marqué par des conditions de travail difficiles, souvent illégales, auxquelles s’ajoute un sexisme structurel. Au-delà de leur instabilité financière, c’est souvent leur santé, physique et morale, qui se voit menacée. En partant de vécus, de faits et de chiffres – pour la plupart effarants – , Travailleuses invisibles plaide pour un Maroc plus juste, où toutes les femmes peuvent travailler dignement.

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Miseria, de Aïcha Ech-chenna

Editions Le Fennec, 2013

Dur, mais nécessaire. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’un des deux seuls ouvrages légués par Aïcha Ech-chenna, figure incontournable de la lutte pour les droits des femmes marocaines, décédée en septembre 2022. Paru en 2013, Miseria est l’un de ces ouvrages que l’on ne devrait jamais laisser se recouvrir de poussière tant que la violence qu’il relate persiste. Préfacé par Fatéma Mernissi, le livre est un recueil de témoignages recueillis par la fondatrice de l’association Solidarité Féminine, suite à de longues séries d’entretien avec des mères célibataires. Sans filtre aucun, sont évoqués viols, violences conjugales et abandons successifs. Avec une cruauté assumée, Aïcha Ech-chenna tirait la sonnette d’alarme, dès le début des années 2000, sur ces femmes livrées à elles-mêmes que la société refuse de voir. Dix ans plus tard, à l’heure où les mères célibataires continuent d’être plongées dans la précarité, que l’avortement continue d’être passible de prison et que les enfants sans lien de paternité ne sont toujours pas reconnus par la loi, Miseria continue d’être un ouvrage précieux, qui nous rappelle la violence qui se cache derrière certaines de loi.

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Casablanca Circus, de Yasmine Chami

Editions Actes Sud, 2023

Petit bijou de la rentrée littéraire 2023, le cinquième roman de Yasmine Chami se plonge dans l’océan tumultueux qu’est Casablanca, métropole aussi fascinante que incomprise, pour raconter toute la complexité des rapports de domination entre les classes sociales dominantes et dominées, mais aussi, entre les hommes et les femmes. Après avoir longtemps vécu à Paris, May et Chérif se réinstallent dans leur Casablanca natal. Alors que le couple attend son deuxième enfant, Chérif, architecte ambitieux, s’engage dans un projet d’aménagement urbain qui implique l’expulsion des habitants du bidonville El Bahryin afin de les reloger dans des logements sociaux. Un contrat suffit pour que les vies des habitants d’El Bahryin, livrés à eux-même, basculent. Une injustice à laquelle May ne peut se résoudre, et qui pointe directement la responsabilité des élites bourgeoises face à la misère qui frappe les classes dominées. Au fur et à mesure que le corps de May s’apprête à donner la vie, elle se voit confrontée à l’effacement des vies de toute une communauté. Munie d’une empathie poignante, elle entreprend d’aller à la rencontre des bidonvillois, tout en questionnant constamment la légitimité du regard qu’elle, une femme aisée et instruite, issue d’une grande famille casablancaise, peut porter sur cette tranche de la population. A travers son journal de grossesse, May consigne les vies des habitants d’El Bahryin, son amour pour son futur bébé, mais interroge aussi sa place en tant que femme dans son couple, ainsi que dans le microcosme social qui l’entoure.

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Direction artistique : Domizia Trenta
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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Aïcha Zaïmi Sakhri

Dossier de presse numero 26/2023

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