Latifa El Bouhsini, historienne, féministe et enseignante-chercheure à l’Université Mohammed V de Rabat, est une figure incontournable du mouvement féministe marocain. Spécialiste de l’histoire des femmes et de l’évolution du féminisme au Maroc, elle a consacré ses recherches aux inégalités structurelles qui persistent dans les textes juridiques et les représentations sociales.
Dans cet entretien pour egalitemag, elle revient sur la réforme du Code de la famille, ses limites et les résistances qui empêchent une refonte véritablement égalitaire. Elle analyse les avancées – modestes – du projet, tout en pointant les grandes lacunes, notamment le maintien de la Qiwama, l’inégalité successorale et la non-reconnaissance de la filiation des enfants nés hors mariage. Pour elle, cette réforme reste avant tout technique et ne remet pas en cause les fondements patriarcaux qui régissent encore les relations entre hommes et femmes au sein de la famille.
Au-delà du futur code de la famille qui s’annonce décevant, Latifa El Bouhsini dresse un bilan lucide du mouvement féministe marocain. Si celui-ci a su imposer la question des droits des femmes dans le débat public, il traverse aujourd’hui une phase d’essoufflement dans un contexte de recul des libertés. Face à ces défis, elle appelle à une refonte des stratégies féministes, en articulant la lutte pour l’égalité des droits à une remise en question plus large du système économique et politique.
Comment jugez-vous la nouvelle version du Code de la famille ? Répond-elle aux attentes du mouvement féministe ?
À ce jour, nous ne disposons que des grandes lignes de ce qui demeure un projet encore inachevé. Les détails du texte n’ont pas encore été rendus publics et, comme on le sait, le diable se cache dans les détails. Il est donc essentiel de rester prudent et d’attendre la version définitive du Code de la famille avant d’en tirer des conclusions définitives.
Cela dit, si l’on se fie aux annonces officielles et aux réactions qu’elles ont suscitées, il est déjà évident que cette réforme — qui, en réalité, n’en est pas une — est loin de répondre aux attentes. Elle révèle d’emblée ses nombreuses limites et s’inscrit dans un débat public où la rumeur et la désinformation dominent souvent les échanges.
L’un des problèmes fondamentaux de ce projet est qu’il ne remet pas en cause la philosophie même sur laquelle repose le Code de la famille, à savoir la Qiwama. Ce concept, qui structure les relations au sein du mariage, institutionnalise la suprématie masculine en instaurant une hiérarchie entre les époux. Il suppose que l’homme assure la prise en charge financière de son épouse, ce qui lui confère une autorité et un pouvoir sur elle, tandis que la femme est placée dans une position de subordination, avec un devoir d’obéissance en contrepartie.
Cette vision repose sur une répartition inégalitaire des rôles, qui ne reconnaît que ce qui est visible et monétisé : le travail productif générant un revenu, assumé par l’homme. À l’inverse, le travail reproductif et domestique, qui inclut l’éducation des enfants, la gestion du foyer et le soin des proches, reste invisible et donc ni reconnu, ni valorisé.
Or, cette construction sociale, qui se veut figée, a pourtant été profondément bouleversée par les transformations de la société marocaine. L’accès des femmes au marché du travail a modifié l’équilibre économique des foyers, avec une contribution croissante des femmes aux charges du ménage. Pourtant, ni la loi ni les mentalités n’ont suivi cette évolution. Ce décalage perpétue une discrimination flagrante et maintient la non-reconnaissance des rôles essentiels que jouent les femmes dans la société, une injustice que le mouvement féministe ne cesse de dénoncer.
Le refus de remettre en question ce socle inégalitaire est ce qui fragilise toute tentative de réforme. Il s’agit d’une faille structurelle majeure : tant que cette hiérarchie entre les sexes ne sera pas abolie, toutes les modifications resteront d’ordre technique et procédural, sans véritable impact sur les droits fondamentaux des femmes et sans transformation de l’imaginaire collectif.
Or, toute réforme qui ignore les évolutions sociales et l’impératif d’égalité est vouée à l’échec. Elle ne peut qu’être limitée, incomplète et décevante.
Quels sont, selon vous, les points positifs de cette réforme ? Quels aspects restent encore problématiques ou insuffisants ?
Cette réforme, bien que largement insuffisante, introduit tout de même quelques ajustements qui vont dans le sens d’une meilleure protection des droits des femmes et des enfants. Parmi ces avancées, on peut citer :
- Le maintien de la garde maternelle après le remariage de la mère, une évolution qui corrige une injustice en évitant de pénaliser les femmes qui refont leur vie après un divorce.
- Un nouvel encadrement de la gestion des biens acquis pendant le mariage, reconnaissant enfin que le travail domestique de l’épouse constitue une contribution légitime à la construction du patrimoine familial.
- L’instauration de la tutelle conjointe des deux parents, aussi bien pendant le mariage qu’après une séparation, avec la possibilité d’une médiation judiciaire en cas de désaccord.
- Une légère évolution sur la question de l’héritage des filles, les parents pouvant désormais procéder à une donation de leur vivant à leurs filles, y compris mineures, pour contourner l’inégalité successorale inscrite dans la loi.
Ces révisions ponctuelles permettent d’apporter une certaine équité et constituent des avancées nécessaires pour assurer un meilleur équilibre familial. Toutefois, elles restent marginales et ne remettent pas en question le système discriminatoire sur lequel repose l’ensemble du Code de la famille.
Mais c’est une réforme qui refuse toujours de s’attaquer aux injustices les plus flagrantes ! Parmi les grandes déceptions, une disposition en particulier suscite l’indignation : le refus catégorique de reconnaître le test ADN comme une preuve légale pour établir la filiation d’un enfant né hors mariage. Cette position est totalement anachronique et constitue un déni des avancées scientifiques, tout en contredisant les principes fondamentaux de la protection des droits de l’enfant, tels qu’ils sont définis par la Convention internationale des droits de l’enfant, que le Maroc a pourtant ratifiée.
En maintenant cette vision archaïque, la loi fait peser toute la responsabilité d’un enfant conçu hors mariage sur la seule femme, alors que, biologiquement et moralement, la conception engage les deux parents. Il s’agit ici d’une double peine : l’enfant est privé de son droit à une identité, et la mère est stigmatisée et laissée seule face aux conséquences d’un acte qui concernait pourtant deux personnes.
Pire encore, l’alternative proposée par les Oulémas du Conseil de l’Ifta’e est une aberration : elle consiste à contraindre le père biologique à subvenir aux besoins matériels de l’enfant sans pour autant reconnaître officiellement sa filiation. Le raisonnement absurde avancé est que l’établissement de la filiation risquerait de déstabiliser la structure familiale et de créer une “famille de substitution”, ce qui serait contraire à la Charia et à la Constitution.
Ce paradoxe ne semble interpeller ni l’intelligence, ni l’éthique, et traduit une résistance idéologique obstinée qui préfère sacrifier les droits des enfants sur l’autel du patriarcat. On privilégie ici une lecture rétrograde des textes religieux, au mépris du progrès scientifique et du bon sens juridique.
Cette réforme confirme à quel point les résistances patriarcales restent profondément ancrées dans les lois. Tant que la logique discriminatoire qui structure ce Code ne sera pas remise en question, toute tentative d’évolution restera cosmétique et insuffisante. On aménage des détails, mais on refuse de toucher à l’essentiel.
Malgré les attentes fortes du mouvement féministe, certaines revendications, comme l’égalité dans l’héritage, la suppression du Taâsib ou encore l’abolition définitive de la polygamie, n’ont toujours pas été intégrées dans cette réforme. Ces inégalités persistent alors même que la société marocaine a profondément évolué et que ces questions devraient susciter un débat public important. Quels sont, selon vous, les enjeux majeurs qui restent à traiter en priorité? Et pourquoi, à votre avis, ces réformes essentielles continuent-elles d’être écartées ?
Comme pour les autres aspects de cette réforme, on a choisi de contourner les véritables questions plutôt que de s’y attaquer frontalement. Plutôt que d’adopter une approche fondée sur l’égalité et la justice, le législateur a privilégié des solutions de contournement, maintenant ainsi une architecture patriarcale intacte. L’exemple le plus frappant est l’inégalité successorale, qui demeure un tabou absolu. L’égalité dans l’héritage n’est toujours pas reconnue et, face aux revendications des féministes, l’unique alternative proposée par les Oulémas du Conseil est le recours à la donation. Autrement dit, on laisse aux parents le soin de corriger individuellement une injustice structurelle, au lieu d’adopter une réforme qui garantirait les mêmes droits successoraux aux filles et aux garçons. De même, la règle du Taâsib, qui exclut les filles de l’héritage en l’absence d’héritiers mâles directs, reste intacte. Pourtant, cette disposition, au-delà d’être discriminatoire, provoque de véritables drames sociaux, laissant des femmes sans ressources alors qu’elles auraient dû hériter du patrimoine familial. Mais plutôt que d’admettre son caractère injuste, on continue de s’attacher à une supposée sacralité de la règle, au détriment du droit et de la logique. Ce refus d’évolution est d’autant plus absurde que les bases historiques qui justifiaient ces règles ont totalement disparu. À l’origine, l’inégalité successorale reposait sur un modèle tribal où les hommes avaient des responsabilités économiques et sociales spécifiques. Ils devaient assurer la protection des femmes, subvenir à leurs besoins et prendre en charge certaines obligations comme le paiement de la diya (prix du sang) en cas de conflit. Or, 12 siècles ont passé et la société marocaine a connu des bouleversements profonds. La tribu a cédé la place à la famille nucléaire, les solidarités communautaires ont disparu et les femmes ont investi le marché du travail. Leur contribution économique est désormais un fait avéré, et le nombre de femmes cheffes de famille ne cesse d’augmenter. Pourtant, cette réalité n’est toujours pas reconnue dans le droit successoral, qui continue à perpétuer une hiérarchie dépassée et profondément inégalitaire.
Derrière ce refus de réforme, il y a un enjeu majeur : le pouvoir matériel et les ressources économiques. Toucher à l’héritage, c’est remettre en question le contrôle masculin sur les biens et la transmission des richesses. Or, le patriarcat sait que son maintien repose en grande partie sur le contrôle des ressources. Ainsi, tout est mis en œuvre pour empêcher les femmes d’accéder à ce qui leur revient légitimement, à savoir une reconnaissance économique et une autonomie financière réelle.
Autre point sur lequel la réforme n’a pas osé trancher : la polygamie. Si cette pratique est aujourd’hui très marginale au Maroc, elle n’a toujours pas été interdite. Certes, on a introduit de nouvelles restrictions légales pour en limiter l’application, mais aucune volonté politique ferme ne s’est manifestée pour l’abolir complètement. Ce maintien de la polygamie, même dans un cadre très encadré, est hautement symbolique. Il illustre une fois encore la réticence à rompre définitivement avec un modèle patriarcal dépassé, où les femmes sont considérées comme des épouses substituables et interchangeables. L’argument avancé pour justifier cette réticence repose souvent sur la nécessité de ne pas heurter les sensibilités religieuses. Pourtant, d’autres pays musulmans ont aboli la polygamie sans pour autant renier leur héritage culturel et religieux.
En somme, on avance à pas de tortue, en évitant soigneusement les sujets qui fâchent. On préfère multiplier les artifices légaux, comme la donation ou les restrictions procédurales, plutôt que de refondre en profondeur un droit familial inégalitaire. Au lieu de moderniser la législation en fonction des évolutions sociales, on persiste à maintenir des discriminations d’un autre temps, en s’appuyant sur une lecture patriarcale des textes sacrés plutôt que sur une éthique de justice et de non-discrimination. Tant que cette logique d’évitement prévaudra, les femmes continueront de se heurter à un mur juridique qui, sous couvert de tradition, leur refuse toujours l’égalité pleine et entière.
Comment les associations et militantes féministes peuvent-elles agir pour garantir l’application effective de cette réforme et obtenir de nouvelles avancées ? Et pourquoi, à votre avis, le mouvement féministe semble traverser aujourd’hui au regard de certains une phase d’essoufflement ?
Face aux résistances persistantes et aux limites de cette réforme, le mouvement féministe est à un tournant décisif. Avant d’envisager de nouvelles stratégies, il est essentiel qu’il prenne le temps d’une évaluation collective afin de dresser le bilan des quatre décennies de luttes pour les droits des femmes. Un retour critique sur ce parcours permettrait d’en tirer les leçons et de tracer de nouvelles perspectives adaptées aux enjeux actuels.
Si le mouvement féministe marocain a été, par le passé, un acteur dynamique et influent, force est de constater qu’il est aujourd’hui fragilisé. Cet essoufflement s’explique en partie par un contexte général de régression des libertés et des droits, qui affecte l’ensemble des mouvements sociaux et réduit leur capacité d’action.
Dans ce contexte, il devient indispensable de réfléchir aux défis internes du mouvement féministe, mais aussi d’identifier les nouveaux enjeux qui doivent être pris en compte pour réaffirmer son rôle moteur. L’une des priorités est l’ouverture vers les nouvelles générations et l’instauration d’un leadership collectif, car les méthodes qui ont fonctionné par le passé ne suffisent plus aujourd’hui.
Si la lutte féministe a longtemps mis l’accent sur les droits civils et politiques, comme l’égalité dans le Code de la famille, d’autres défis, sociaux et économiques, sont tout aussi déterminants pour l’émancipation des femmes. Un chiffre illustre l’ampleur du problème : moins de 20 % des femmes marocaines sont actives sur le marché du travail. Ce taux extrêmement bas a des conséquences majeures : non seulement il limite leur autonomie financière, mais il freine aussi le développement économique du pays dans son ensemble.
Dès lors, il est nécessaire d’adopter une approche plus globale qui ne se contente plus de combattre le patriarcat dans l’imaginaire collectif et la société, mais qui prenne également en compte les institutions, les choix économiques et les politiques publiques qui contribuent à perpétuer les inégalités de genre. Comme l’a théorisé Nancy Fraser, philosophe féministe américaine, il ne suffit plus d’axer la lutte sur la reconnaissance des droits : il faut l’articuler avec la redistribution des richesses et des opportunités. Cela signifie que le combat contre le système patriarcal ne peut plus être dissocié du combat contre les inégalités économiques et sociales, en particulier dans un pays comme le Maroc, où les injustices structurelles sont à la fois de nature culturelle, politique et économique.
Aujourd’hui Le féminisme marocain devrait intégrer une vision plus large, qui prenne en compte trois dimensions essentielles :
- L’égalité des droits civils et familiaux, en poursuivant la réforme du Code de la famille et en exigeant l’abrogation des lois discriminatoires.
- L’émancipation économique des femmes, en revendiquant des politiques publiques favorisant leur accès au marché du travail et leur indépendance financière.
- Le renforcement de la démocratie et de l’État de droit, car les droits des femmes ne peuvent progresser sans un cadre politique garantissant les libertés fondamentales.
L’un des grands succès du mouvement féministe marocain a été d’avoir politisé la question des droits des femmes et d’avoir su l’inscrire dans l’agenda national. Il a joué un rôle déterminant en déplaçant ces revendications du domaine privé vers l’espace public et politique. Cependant, au fil du temps, l’institutionnalisation de la question féministe a conduit à son instrumentalisation. Autrement dit, les avancées obtenues ont parfois été récupérées par le pouvoir, ce qui a affaibli la dynamique du mouvement et réduit sa capacité de mobilisation indépendante. Aujourd’hui, il devient impératif de réfléchir à de nouveaux modes d’action pour éviter l’essoufflement et redonner du souffle au militantisme féministe. L’enjeu n’est pas seulement de défendre des droits, mais de revendiquer un véritable changement structurel et de s’assurer que les réformes ne soient pas de simples ajustements techniques, mais des transformations profondes et durables.
En somme, pour garantir l’application effective des réformes et obtenir de nouvelles avancées, le mouvement féministe devrait faire un bilan critique de son action et repenser ses stratégies en fonction des nouveaux défis et se recentrer sur les enjeux sociaux et économiques, en intégrant les dimensions du travail, de l’autonomie financière et de la redistribution des richesses. Il faudrait également sortir d’une approche sectorielle et relier la question féministe aux luttes démocratiques et aux revendications pour un État de droit. Il lui faudrait donc se réinventer et revoir ses méthodes de mobilisation, en trouvant un équilibre entre action institutionnelle et engagement militant indépendant.
À l’heure actuelle, les résistances sont toujours fortes, les avancées limitées, et le contexte difficile. Mais comme l’a montré l’histoire du féminisme marocain, c’est dans les périodes de blocage que naissent les plus grandes transformations. La question est donc de savoir comment redonner au mouvement l’élan nécessaire pour imposer un véritable changement de paradigme. Comment réinventer la lutte féministe pour la rendre plus offensive et plus en phase avec les réalités contemporaines ?
Cette réforme ne marque donc pas une rupture décisive. Faut-il la considérer comme une simple étape intermédiaire dans la lutte vers une égalité plus aboutie ? Et quels sont les défis majeurs à relever pour aller plus loin ?
Il ne fait aucun doute que cette réforme n’est qu’une étape, et une étape incomplète. Le chemin vers l’égalité reste long, sinueux et semé d’embûches. Les défis à relever sont considérables et nécessitent une intelligence collective, une créativité politique et une capacité à se réinventer. Plus que jamais, il est impératif de revisiter les paradigmes existants et de rompre avec les visions figées qui ont longtemps structuré le débat sur les droits des femmes au Maroc. Pour avancer vers une égalité réelle et durable, il est essentiel de repenser certaines dynamiques qui freinent encore les avancées en matière de droits des femmes. L’un des principaux enjeux réside dans l’articulation entre l’universel et le spécifique. Le débat féministe au Maroc oscille souvent entre la revendication de droits fondamentaux, universellement reconnus, et la prise en compte des spécificités culturelles et religieuses. Cette tension, bien qu’importante à considérer, a souvent été utilisée pour ralentir voire bloquer les réformes nécessaires. Il devient impératif de dépasser cette opposition et d’adopter une approche qui conjugue égalité et justice, tout en intégrant les réalités historiques et sociales du pays.
Un autre frein majeur est l’instrumentalisation du religieux et du culturel dans les débats sur les réformes. D’un côté, les courants conservateurs s’appuient sur la tradition pour maintenir le statu quo. De l’autre, certains discours féministes sont perçus comme des modèles importés, alimentant ainsi un rejet identitaire et un repli sur soi. Il est crucial de sortir de cette dialectique stérile et de proposer une vision émancipatrice ancrée dans la réalité marocaine, sans tomber dans une posture de confrontation ou de rejet des influences extérieures. L’émancipation ne doit ni être perçue comme une menace, ni comme une imitation, mais comme un processus propre à la société marocaine, en phase avec ses évolutions et ses aspirations.
Cependant, le combat pour les droits des femmes ne peut être mené en vase clos. Il doit s’inscrire dans un projet global de justice sociale et démocratique. L’égalité ne se limite pas à la réforme du Code de la famille, aussi essentielle soit-elle. Il est impératif de remettre en question les inégalités structurelles, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques. Tant que les femmes resteront exclues du marché du travail, sous-représentées dans les instances de décision et enfermées dans un modèle de dépendance économique, les avancées législatives resteront des victoires incomplètes et fragiles.
Sans cette articulation entre droits des femmes, démocratie et justice sociale, toute réforme restera insuffisante et en décalage avec la réalité vécue par une grande partie de la population féminine, en particulier celles qui subissent la précarité et l’exclusion. Le Code de la famille n’est pas un texte neutre : il incarne une certaine vision du monde, une organisation des rapports sociaux et une répartition du pouvoir entre les sexes. Sa réforme ne doit donc pas se limiter à des ajustements techniques, mais s’inscrire dans un projet global de transformation des rapports hommes-femmes et de l’imaginaire collectif.
Il est urgent de déplacer le curseur, de remettre en question les fondements des discriminations et d’ouvrir le débat à des perspectives plus ambitieuses. Le mouvement féministe marocain a prouvé, par son engagement et ses luttes, qu’il était capable de faire évoluer la société et de modifier en profondeur les normes. Mais pour franchir une nouvelle étape, il doit aller au-delà des revendications classiques et proposer une vision transformatrice, qui ne cantonne plus les femmes au rôle de victimes, mais les place au centre du changement.
Cela suppose une refonte des stratégies de lutte, une réappropriation du débat public et surtout, une ouverture vers de nouveaux espaces de réflexion et d’action. Il ne s’agit plus seulement de combattre les lois injustes, mais de mobiliser toutes les ressources de la société pour inscrire l’égalité dans les mentalités, l’économie et les structures politiques. Le féminisme ne peut plus être pensé isolément : il doit être envisagé comme un moteur de transformation sociale globale, capable de redéfinir les bases mêmes du vivre-ensemble au Maroc.