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Ghizlane Mamouni

Ghizlane Mamouni est une avocate et militante engagée. Elle est reconnue pour son travail dans le domaine juridique, notamment en droit bancaire et financier, ainsi que pour son activisme en faveur des droits des femmes et de l’égalité des genres au Maroc.

Elle est également présidente de l’association « kif mama kif Baba » qui vise à promouvoir l’égalité en travaillant à la réforme des lois et des pratiques discriminatoires, notamment en ce qui concerne la garde, la tutelle et le mariage des mineurs. Elle œuvre également pour renforcer la solidarité entre les différents mouvements féministes et les générations, en unissant les forces pour un changement sociétal profond.

Entretien menée par Aicha Zaimi Sakhri
Entretien reformulé et extrait de l’émission Horrates (M24) diffusée le 25 avril 2023

Aicha: Vous êtes une avocate et une militante engagée. Quel lien y a-t-il entre une avocate en droit bancaire et financier qui conseille de grandes institutions financières et le militantisme féminin ou féministe ? Avez-vous toujours été féministe ou y a-t-il eu un moment clé ?

Ghizlane Mamouni : Le métier d’avocat est transversal et nous positionne au cœur de la défense des droits et des libertés. Cela implique la lecture des textes juridiques et la compréhension des enjeux. Nous avons la liberté de défendre les plus vulnérables au-delà de la loi. Je n’ai pas toujours été féministe, mais je le suis définitivement devenue.

Aicha: Qu’est-ce qui a provoqué ce changement ?

Ghizlane : En rentrant au Maroc après des études et une expérience professionnelle en France, j’ai rencontré des femmes souffrant des lois discriminatoires. J’ai été choquée que la loi, avec laquelle je travaille quotidiennement, perpétue les violences et les discriminations. Mon déclic personnel a été lorsque mes enfants, en tant que maman divorcée, ont failli être déscolarisés en raison de ma signature, jugée sans valeur légale. J’ai réalisé que la loi me considérait comme une citoyenne de seconde classe et maltraitait mes enfants. Participer aux changements des lois est devenue une de mes idées fixes.

Aicha: Vous avez créé l’association « Kif Mama Kif Baba ». Pourquoi et quelle est son objectif ?

Ghizlane: « Kif Mama Kif Baba » est une association née d’une rencontre avec Yasmina Roum, experte en communication. Ensemble, nous avons créé l’association pour soutenir les femmes ayant d’admirables idées mais manquent de ressources et qui parfois se regroupent à deux, trois, quatre pour faire des choses, pour militer. Elles ont plein d’idées vraiment formidables mais souvent, elles n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Soit parce qu’elles manquent de conseils juridiques, d’un réalisateur vidéo, ou d’autres d’outils. D’un autre côté, nous sommes à un moment propice pour unir nos forces avec les réformes annoncées de la Moudawana et du code pénal. « Kif mama kif Baba » se positionne comme une station F. C’est comme ça que je l’ai imaginé.

Aicha : C’est quoi une station F ?

Ghizlane: C’est une plateforme qui sert de pépinière, d’incubateur mais aussi d’accélérateur à des projets pour lesquelles nous avons la même vision , c’est-à-dire vouloir changer les lois pour en faire des textes plus justes et plus humains. Et bien ces personnes ou ces collectifs ou groupes de personnes ou d’individus peuvent venir nous voir, nous exposer leur projet et nous on les aide à les réaliser

Aicha: Travaillez-vous avec le mouvement féminin traditionnel ? Y a-t-il une collaboration pour unir les générations ? Parce qu’on a l’impression, un peu vu de l’extérieur, que chacune aussi travaille dans son coin, que les jeunes sont dans le digital à fond, les anciennes ont une façon de travailler qui reste classique donc il y a certainement des choses à faire ensemble ?

Ghizlane: C’est primordial pour nous. Nous travaillons avec des femmes de différentes générations, unissant nos forces pour réaliser des initiatives incroyables. Les féministes historiques ont toujours été à l’avant-garde ! Elles ont été là bien avant nous et nous revendiquons leur héritage. C’est grâce à elles que nous avons aujourd’hui des droits comme celui de divorcer par exemple. Nous, la relève, nous essayons de continuer avec elles et de conquérir de nouvelles libertés, de nouveaux droits.

Il se produit beaucoup choses dans la société civile en ce moment. Des coalitions intergénérationnelles et inclusives émergent, nous rendant plus forts. De belles choses sont à venir.

Aicha: Quels sont les obstacles majeurs auxquels font face les femmes en relation avec la tutelle et la garde des enfants ?

Ghizlane: La tutelle est souvent accordée au père, tandis que la garde revient à la mère. La tutelle est le droit de représenter l’enfant dans les actes juridiques, et la garde est une responsabilité. La Moudawana est basée sur une philosophie patriarcale dépassée, négligeant les évolutions de la société. Les femmes sont souvent à la tête de familles monoparentales, mais la loi continue de les regarder comme si elles dépendaient de leurs maris.

Aicha : Est-ce qu’il existe des cas justement exceptionnels ? Où la mère peut avoir la tutelle ?

Riz : Oui. Les cas sont prévus dans les textes. C’est bien sûr en cas de décès du père mais aussi en cas d’absence du père. Le problème, c’est que prouver l’absence, c’est kafkaïen. Comment on peut prouver l’absence de quelqu’un ou de quelque chose ? Or, quand on demande à la justice un droit comme l’attribution de la tutelle il faut prouver ça. La jurisprudence et les tribunaux appréhendent cette notion d’absence de manière très stricte. C’est-à-dire ils vont aller chercher la dernière adresse connue, constater qu’il est là ou pas j’invite vraiment les tribunaux à élargir l’appréhension qu’ils ont de cette notion là et de la considérer du point de vue de l’enfant. Parce que du point de vue de l’enfant que son père croupisse en prison ou qu’il soit à la télé tous les jours mais qu’il ne vienne pas signer ces documents d’inscription ou de voyage, c’est la même chose. Et l’intérêt de l’enfant est touché dans ces cas-là.

Aicha : Il y a aussi certains pères qui ne sont pas satisfaits de ce code, puisque, comme vous l’avez dit,  il y a la garde et il y a la tutelle. C’est deux choses différentes. Les pères , en général, n’obtiennent pas la garde, juste un droit de visite ?

Riz : Ils ont en général , un droit à une journée. C’est le dimanche de 10 heures à 18h parce que on a une disposition dans le code de la famille qui nous dit l’enfant n’a le droit de passer la nuit que chez la personne qui en a la garde.

Aicha : Mais pourquoi ?

Riz : Allez savoir. Maintenant, contrairement à la tutelle, on a quand même une exception dans la loi qui autorise le juge à en décider autrement quand l’intérêt de l’enfant le commande.

On n’a pas de système de garde partagée véritablement au Maroc . Certains couples divorcés parviennent à des accords où le père qui peut voir ses enfants, par exemple, du jeudi au dimanche et pendant les vacances. Je ne suis pas en train de plaider pour davantage de droits aux femmes au détriment des pères ! Cela devrait être kif kif. C’est « kif mama kif baba » et c’est l’intérêt de l’enfant qui prime. L’enfant a besoin de ses deux parents et lorsqu’il un des deux qui est défaillant,  l’autre parent devrait avoir les pouvoirs de le prendre en charge, c’est-à-dire la tutelle.

Aicha : Bien sûr. Il y a aussi une autre discrimination subie par les femmes qui doivent souvent choisir entre leur vie de femme et leur maternité et donc leur droit de garde. Parce qu’en cas de remariage, on perd automatiquement la garde ?

Riz : Il y a un principe de déchéance de tutelle pour la mère qui se remarie. Avec certaines exceptions. Notamment quand l’enfant est âgé de moins de 7 ans mais aussi quand la séparation avec la mère porte préjudice à l’enfant.

Aicha : Mais comment prouver le préjudice ?

Riz : C’est une question de preuves donc il faut alimenter le dossier au maximum. Pour moi, encore une fois, la séparation avec la mère cause automatiquement préjudice à l’enfant. Il ne devrait même pas y avoir énormément d’expertises. Et pourtant , malheureusement,  la jurisprudence dans la majorité des cas prononce la déchéance de tutelle

Aicha: Quelles autres inégalités du code de la famille devraient être modifiées selon vous ?

Ghizlane: Il faudrait changer de paradigme. Le code de la famille et le code pénal sont pratiquement obsolètes, basés sur une philosophie patriarcale. Il faut réformer ces textes en accord avec la Constitution de 2011 et les conventions internationales. Les textes doivent être repensés pour respecter les droits humains. Le double référentiel dans notre système juridique entre le référentiel religieux et le référentiel des droits humains constitutionnels qui crée souvent des inégalités. Et on avancera vraiment que lorsque les principes constitutionnels que nous avons dans notre Constitution 2011 seront pleinement appliqués comme le principe de l’égalité. Les structures familiales ont beaucoup changé depuis 2004. Les femmes se marient moins, divorcent plus, travaillent plus, occupent souvent des postes très importants et sont souvent à la tête de famille monoparentale.  Pourtant la loi et la jurisprudence continue de les considérer des femmes entretenues par leur mari !

Aicha: Pensez-vous que la société marocaine est prête pour de tels changements ?

Ghizlane: La communication est essentielle pour expliquer les changements nécessaires. Si nous mettons en lumière que les enfants sont les principales victimes de ces lois, les gens sont généralement enclins à soutenir des réformes. La mobilisation du mouvement féminin est aussi essentielle. Le plaidoyer institutionnel est important auprès du parlement qui est en charge des lois. Le code de la famille et le code pénal ne sont pas des textes sacrés ! Ils peuvent et doivent changer !

Aicha : Dernière question : Que signifie pour vous la liberté et en quoi elle est importante dans le processus de l’égalité homme-femme ?

Ghizlane: la liberté pour moi est la possibilité de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Sur un plan personnel, je me sens autonome, indépendante et j’essaye d’inculquer aussi à mes enfants ces valeurs de liberté et son corollaire, la responsabilité. Mais croire, en tant que citoyenne marocaine, que je suis libre, j’aurais tort de le penser.

Aicha : Et vous avez vécu ça dans votre chair ? Le fait de ne pas vous sentir libre ?

Ghizlane : Bien sûr. Le fait de pas pouvoir voyager avec mes enfants, le fait de devoir quémander des autorisations à un système patriarcal pour pouvoir les inscrire simplement à l’école, des actes aussi simples, c’était très dur ! Oui je l’ai vécu dans ma chair comme vous le dites.

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Direction artistique : Blooming Baobab

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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Dossier de presse numero 26/2023

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