Héroïnes invisibles

Par Maria Chraïbi

Photo Akkar Achraf

Il y a, au Maroc comme ailleurs, de plus en plus de femmes dont on chante pas la gloire et dont on ne raconte pas l’histoire.

Ce sont ces femmes qui marchent à contre-courant, sans mari, sans enfants, dans une société où la réussite féminine se mesure encore trop souvent au nombre d’alliances passées et de berceaux occupés. Elles ne correspondent pas à la norme, et pour cela, elles sont regardées avec une étrange méfiance, comme si leur liberté ou leur solitude étaient des menaces pour l’ordre établi.

Mais qu’est-ce donc que cette norme ? Un miroir truqué où l’on enferme les femmes en leur faisant croire qu’il n’existe qu’une seule voie pour être accomplie : celle du mariage avant qu’il ne soit trop tard et de la maternité. Un miroir qui reflète ce que l’on attend d’elles, mais jamais ce qu’elles sont vraiment. Où le bonheur se mesure aux regards extérieurs, et non à l’épanouissement intérieur. Ces femmes, que l’on qualifie parfois de « ratées »,  de « meskinates » ne sont pourtant pas des erreurs de la vie. Ce sont les victimes d’un système rigide et d’une société pétrie de contradictions.

Elles n’ont pas eu de chance, diront certains. Peut-être. Mais pour beaucoup d’entre elles, ce n’est pas seulement une question de chance. C’est une question de choix. Refuser un mariage arrangé, ne pas sacrifier son idéal d’amour à la pression familiale, c’est un acte de courage immense. Un courage qui, souvent, se paie cher. Elles ont cru qu’il était possible de conjuguer leur respect de la tradition avec une aspiration à la modernité, qu’elles pouvaient être des ponts entre deux cultures. Et pourtant, elles se retrouvent aujourd’hui sur les marges, prises entre des attentes qu’elles n’ont jamais voulu satisfaire et des rêves qu’elles n’ont jamais pu réaliser. Pire ! Elles sont fautives… Quand leurs protagonistes masculins sont célibataires, elles, sont … seules. Est-ce une vérité absolue ? Je n’ai pas la réponse. Mais la question est posée.

Et comme si cela ne suffisait pas, à l’invisibilité sociale s’ajoute le vide juridique. Car dans le Code marocain de la famille, ces femmes — qu’elles soient célibataires, divorcées ou veuves — n’existent que par défaut. Le droit ne les reconnaît pas comme des femmes à part entière. Il les définit uniquement par rapport au statut matrimonial : mariées ou non. En dehors du cadre du mariage, elles ne sont ni sujettes de droits spécifiques, ni bénéficiaires de protections particulières. Ce n’est pas seulement leur solitude que l’on ignore, c’est leur existence même dans les textes de loi. Une loi qui institutionnalise leur mise à l’écart et érige leur marginalité en norme silencieuse.

Que leur reste-t-il ? Une force intérieure que peu de gens soupçonnent. Une dignité à toute épreuve. L’envie, aussi, de ne pas être effacées, de ne pas être réduites à ce que la société veut voir en elles : des femmes « incomplètes », « handicapées » de leur vie d’épouse, de mère, et de femme. Et pourtant, elles sont bien plus que cela. Ce sont des femmes debout, parfois seules, mais pas désespérées. Des femmes qui ont pris en charge leurs vies, qui portent souvent celles des autres, qui prévoient, organisent, et veillent. Une famille à elles seules, même si aucun enfant ne porte leur nom.

Elles continuent pourtant de subir une double peine ou double injustice. La société ne les aime pas pour ce qu’elles sont. En 2025, elles continuent d’être jugées par une société tribale qui préfère caser les individus plutôt que de leur laisser la liberté d’exister ou de les reconnaître telles qu’elles sont : des femmes, courageuses, dignes, capables d’aimer sans rien attendre en retour.

Ces femmes, que l’on juge trop vite, ne demandent pas la pitié. Elles ne demandent même pas toujours l’amour, bien qu’elles le méritent tant. Elles demandent simplement la place qui leur revient. Celle d’être considérées, non pas comme des ovnis mais comme des femmes accomplies à leur manière. Car si le mariage et la maternité sont des choix de vie légitimes, ils ne sont peut-être plus comme avant, les seuls chemins possibles vers une vie pleine de sens et d’accomplissement personnel.

Il faudrait, peut-être, apprendre à regarder ces femmes autrement. À voir en elles des âmes courageuses, des figures de résistance face à un système qui les aurait voulues soumises. À reconnaître que leur solitude, choisie ou imposée, est parfois un acte de respect pour elles-mêmes, une manière de ne pas se perdre dans des compromis qui les auraient détruites.

Ces femmes sont des héroïnes modernes, même si leur société ne le voit pas encore. Et peut-être qu’un jour, lorsqu’elle aura enfin appris à conjuguer ses traditions avec un peu plus de liberté et d’humanité on leur rendra  sans doute justice. Peut-être comprendra t’on alors que l’amour, qu’il vienne d’un mari, d’un enfant, ou de soi-même, est une affaire d’âme, bien plus que de cadre social.

Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir un condensé d’inspirations et d’informations autour de l’égalité
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir un condensé d’inspirations
et d’informations autour de l’égalité

Direction artistique : Domizia Trenta
Direction artistique Domizia Trenta

Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

Directrice de la publication

Aïcha Zaïmi Sakhri

Dossier de presse numero 26/2023

Newsletter
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir un condensé d'inspirations et d'informations autour de l'égalité

Newsletter
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir un condensé d'inspirations et d'informations autour de l'égalité