Constat
Au Maroc, même si les femmes constituent plus de 50 % de la population, elles ne représentent que 20 % de la population active. Ce chiffre a chuté à 17 % après la pandémie, une période marquée par la suppression de nombreux emplois, affectant principalement les femmes. Il est à noter que ces chiffres se concentrent sur le travail formel, laissant de côté un grand nombre de femmes dans le secteur informel, ce qui augmente leur précarité et leur vulnérabilité en les privant d’avantages tels que les assurances maladie et la retraite.
Près des trois quarts des personnes hors du marché du travail (73,1 %) sont des femmes, dont plus de la moitié (51,1 %) n’ont aucun diplôme et 44,9 % sont âgées de 15 à 34 ans. L’analphabétisme, qui touche encore 50 % des femmes, explique en partie leur faible taux d’activité dans le secteur formel. Concentrons nous sur les raisons pour lesquelles les femmes diplômées peinent à s’implanter dans le marché du travail malgré leurs compétences.
Pourtant…
Les Marocaines obtiennent en moyenne de meilleurs résultats scolaires et universitaires que les hommes. En 2021, 55 % des titulaires de diplômes du secondaire étaient des femmes, et la proportion de Marocaines de 15 ans et plus ayant suivi des études supérieures était plus élevée chez les femmes (26 %) que chez les hommes (14 %). De plus, 60 % des titulaires d’une licence en gestion et 50 % en sciences et technologies sont des femmes. Cependant, pour les titulaires d’un master et d’un doctorat, les chiffres sont respectivement de 46,78 % et 39,19 %. Par ailleurs, 42 % des diplômés des écoles d’ingénieurs sont des femmes.
Ces statistiques démontrent que l’employabilité n’est pas directement liée à l’acquisition de compétences. Les femmes marocaines sont compétentes dans divers domaines, y compris en ingénierie, informatique et mathématiques, traditionnellement dominés par les hommes. Malgré cela, ces compétences ne se traduisent pas en opportunités sur le marché du travail, entraînant un manque à gagner considérable pour les entreprises qui ne bénéficient pas de ces talents.
Le taux de chômage des femmes diplômées est de 20 %, plus élevé que celui des hommes, et seulement 13 % des entreprises marocaines étaient dirigées par des femmes en 2019. Dans le secteur public, les femmes représentaient seulement 23 % des dirigeants, 20 % des membres de la Chambre des représentants et 21 % des membres des conseils régionaux et locaux.
Cette inadéquation entre l’éducation et le marché du travail reflète des inégalités tant en termes de réalisations professionnelles que d’accès aux opportunités. La faible représentativité des femmes en matière d’employabilité n’est pas due à un manque de compétences. Les causes résident ailleurs, notamment dans la discrimination à l’embauche. Alors que le recrutement des hommes repose principalement sur leurs compétences, expérience et prétentions salariales, d’autres critères entrent en jeu pour les femmes, incluant :
L’existence de professions genrées à cause de leur pénibilité (horaires de travail, déplacements fréquents, présence sur les chantiers ou sur des chaînes de production) comme dans le secteur du BTP.
Les congés de maternité, interrompant temporairement leur activité professionnelle.
Une flexibilité moindre et des difficultés à prendre des risques, surtout en ce qui concerne l’éloignement familial. La mobilité géographique est un critère déterminant.
L’absence d’opportunités sur le marché de l’emploi par manque de réseaux facilitateurs.
Les défis liés à la direction d’équipes masculines et les interrogations sur les pratiques managériales au féminin.
La féminisation des emplois, souvent synonyme de dévalorisation.
Les raisons ?
Les femmes elles-mêmes font face à des défis, tels que :
Un manque de confiance en soi et une autocensure limitant leur capacité à défier les hommes dans les sphères de pouvoir.
La difficulté à concilier devoir familial et ambition professionnelle, particulièrement pour des postes à responsabilités demandant un investissement en temps.
La nécessité de constamment prouver leur valeur, avec des exigences souvent plus élevées qu’envers leurs homologues masculins.
La crainte d’être perçues comme masculines dans l’exercice de leur profession.
La disparité salariale : à compétences égales, les femmes sont généralement moins bien rémunérées que les hommes.
Bien que non exhaustive, cette liste éclaire le fossé entre le taux d’employabilité des femmes et leurs compétences. La discrimination à l’embauche mérite une attention sérieuse pour garantir l’égalité des chances dans l’accès à l’emploi. Les critères discriminatoires basés sur le genre doivent être déconstruits ; dans l’inconscient collectif, le travail des hommes est perçu comme essentiel pour subvenir aux besoins de la famille, tandis que celui des femmes est considéré comme secondaire. Cette inégalité de genre, définissant les rôles traditionnels des femmes et des hommes, doit être combattue. L’image valorisante de la femme au foyer doit progressivement céder la place à celle de la femme qui travaille, s’épanouit dans son emploi et contribue aux dépenses du ménage.
Les solutions ?
Des mesures concrètes doivent être prises pour faciliter la vie des femmes actives, telles que la création de crèches, l’adoption d’horaires flexibles et la mise en place d’aides publiques aux familles. L’emploi des femmes et leur autonomie financière sont essentiels à leur émancipation et représentent un enjeu crucial que le Maroc ne peut ignorer. Actuellement classé 148e sur 156 pays en matière d’égalité homme-femme, le Maroc est loin derrière, même par rapport aux autres pays du Maghreb.
Pour remédier à cette situation, le Parlement marocain a adopté en 2021 une réforme visant à favoriser l’égalité hommes-femmes dans le Royaume. L’amendement à la loi régissant les sociétés anonymes (loi n° 19.20 modifiant et complétant la loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes cotées) instaure des quotas pour assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de gouvernance des entreprises, fixant un objectif de 30 % de représentation féminine d’ici 2024 et de 40 % d’ici 2027. Bien que ces quotas puissent à court terme augmenter la représentativité des femmes, ils risquent à long terme de nuire à leur perception, les faisant passer pour des bénéficiaires de quotas plutôt que de compétences.
La solution ? l’égalité !
Dans un contexte de non-égalité des sexes et des genres, l’objectif de parité semble plus utopique que réalisable. Fixer des quotas ne suffit pas à effacer les inégalités inhérentes au sexe. Sans une égalité des genres où femmes et hommes jouissent de droits et de chances égaux, où leurs comportements, aspirations, souhaits et besoins sont également valorisés et favorisés, sans égalité dans l’accès et la distribution des ressources, et sans égalité des chances réelle sur le terrain, la promotion de la parité n’est qu’une réponse d’urgence aux conventions internationales ratifiées par le Maroc pour éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Dans son dernier rapport de juin 2022, une experte de la CEDAW a suggéré de créer un fonds de soutien aux entreprises dirigées par des femmes et d’adopter des mesures temporaires spéciales pour rééquilibrer la place des femmes dans les postes à responsabilités. Les mesures récentes du gouvernement sont donc des étapes transitoires en attendant une réforme profonde de l’arsenal juridique, incluant le Code de la famille et le Code pénal, pour promouvoir de manière effective l’égalité homme-femme au sein de la société marocaine.