L’avortement au Maroc: La double peine et une violence envers les Femmes

Par Dr Touria Skalli

Dans cette chronique, je souhaite aborder la législation marocaine criminalisant l’avortement, une loi qui représente une forme flagrante de violence contre les femmes confrontées à des grossesses accidentelles ou dangereuses pour leur santé physique et mentale, ou celle de leur famille.

Comme chaque année au Maroc depuis 20 ans, la « campagne nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles » a été lancée par le ministère de la famille le 27 novembre 2023. Un slogan a été choisi : « La violence est condamnée, mobilisons-nous pour la signaler en tous lieux ». Toutefois, certaines formes de violence sont insidieuses, car elles sont légitimées par la loi !

Le Code Pénal marocain, une réplique du Code français des années 1920, est complètement dépassé. À l’époque, les lois françaises interdisaient l’avortement et la contraception, avec des peines sévères, dans un contexte de dénatalité post-guerre. La France a depuis largement modernisé sa législation, mais qu’en est-il du Maroc moderne ?

Au Maroc, le Code pénal dont nous avons hérité, n’a pas été conçu en tenant compte des spécificités nationales, ni de la Charia, ni des conséquences de la guerre. Cependant, après l’indépendance, le Maroc a réussi à maîtriser une démographie galopante, redoutée pour ses impacts sur la pauvreté, l’éducation, la santé et l’emploi. La loi marocaine du 1er juillet 1967 a aboli les dispositions pénales contre la contraception. Feu le Roi Hassan II a même organisé une Conférence Internationale des Oulémas en 1971 à ce sujet. L’accès généralisé à la contraception a permis de réduire le taux de fécondité de 7,2 enfants par femme en 1962 à 2,38 en moyenne, selon les chiffres du Ministère de la santé en 2021. Mais en ce qui concerne l’avortement, la loi reste pratiquement inchangée, réprimant aveuglément tant les femmes que ceux qui cherchent à les aider en cas de grossesse subie.

Les articles 449 à 458 du Code Pénal prévoient de lourdes peines de prison contre les femmes, les médecins, les aides et paramédicaux, les pharmaciens ou les intermédiaires, interdisant toute publicité ou débat en faveur de l’avortement. L’article 446 autorise même la levée du secret médical, augmentant ainsi les dénonciations ces vingt dernières années. Entre 2020 et 2021, 350 affaires et 558 personnes ont été poursuivies au tribunal de première instance, et 62 affaires et 81 personnes en cours d’appel, sans compter les milliers de cas d’avortements clandestins, estimés à plusieurs centaines par jour par la société civile.

Seul l’article 453 déclare que l’avortement n’est pas puni en cas de nécessité pour préserver la vie ou la santé de la mère, mais cela reste largement sujet à interprétation. Les services de santé publique ou privés hésitent ou refusent souvent de procéder à ces actes dont l’encadrement légal reste mal défini. La santé de la mère, selon l’OMS est un état complet de bien-être physique, psychique et social de la personne.

Depuis environ 15 ans, des voix se sont élevées pour dénoncer les drames des avortements clandestins. En 2015, SM le Roi Mohamed VI a proposé d’inclure certaines situations où l’avortement serait autorisé, comme en cas de viol, d’inceste, de handicap mental ou d’anomalies graves du fœtus. Cependant, les courants conservateurs au gouvernement ont freiné toute avancée. Le Projet de code pénal de 2016 n’a rien modifié dans l’approche de la « moralité publique et de l’ordre des familles », imposant même des conditions excessives pour l’avortement.

Ma proposition de loi de 2018, intitulée « L’encadrement légal de l’interruption médicalisée de la grossesse », visait à placer l’avortement dans un cadre de santé, semblable aux lois sur le don d’organes ou la procréation médicalement assistée. Cependant, après lecture en commission devant le Ministre de la santé, cette proposition a été bloquée, sans jamais être soumise au débat ni au vote.

Les avortements clandestins continuent donc de mettre en danger la vie et la santé des femmes, des familles et des enfants. Seules les femmes subissent la double peine : la grossesse non désirée et le jugement social, qui peut mener au suicide, à l’abandon d’enfant ou à un avortement clandestin dans des conditions déplorables. Les hommes, partenaires indispensables à la survenue d’une grossesse, ne sont ni poursuivis, ni jugés, ni contraints à assumer leurs responsabilités.

Meriem, 14 ans, est morte dans la nuit du 6 au 7 septembre 2022 des suites d’une opération clandestine d’avortement.

La mort tragique l’année dernière de la petite Meryem, 14 ans, sur une table de cuisine lors d’un avortement clandestin, souligne la violence de cette situation. Abolir la criminalisation de l’avortement et voter une loi médicale autorisant l’avortement en toute sécurité est essentiel pour sauver la vie et la santé des femmes. Il est grand temps, en 2023, de reconnaître ces réalités et de sortir du déni. Il est temps d’éveiller les politiques, les institutions, les ministères de la Santé et de la Justice, ainsi que les autorités religieuses, pour appliquer le principe islamique de choisir le moindre mal et autoriser l’avortement médicalisé si la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère. Il est temps de prendre en compte la volonté de la femme ou du couple de poursuivre ou non une grossesse.

Aucun gouvernement n’a jusqu’à présent pris au sérieux cette question. Il est temps de trouver une solution, au-delà des considérations électorales, pour une question aussi grave qui mérite toute notre attention. Il est temps de mettre fin à cette violence et à cette double peine imposée aux femmes.

Touria Skalli, gynécologue, membre du BP du PPS
Députée au parlement 2016/2021

 

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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Dossier de presse numero 26/2023

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