Bienvenue dans « Échos de l’Injustice », notre rubrique où des témoignages anonymes rencontrent l’expertise. Ici, nous partageons des histoires réelles d’injustices, racontées par celle et ceux qui les ont vécues. Chaque récit est complété par l’analyse d’un spécialiste, offrant un avis ou un conseil sur la situation rencontrée. Cette rubrique est un espace de confidence et de dialogue, mettant en lumière des réalités souvent tues et négligées pour des raisons d’injustices légales ou autres ! N’hésitez pas à partager celle-ci ou nous nous faire connaitre la vôtre sur egalitemag.com !
Cette histoire raconte une injustice, celle de la Tutelle toujours accordée au père même lorsqu’il est défaillant mentalement avec l’avis de Ghizlaine Mamouni, avocate et présidente de Kif Mama Kif Baba
En racontant son histoire, elle eut un goût amer dans la bouche, celui des larmes refoulées, des mots tus et des rêves anéantis. La souffrance se dissimulait derrière la pudeur des mots choisis avec précaution, car son récit faisait entrer l’autre dans son intimité. L’autre ne disait rien, il était là pour écouter et non pour juger. La parole libère, dit-on, pour le moment en replongeant dans ses souvenirs, elle avait l’impression de revivre chaque instant avec la même intensité. Dans sa chair, dans son cœur, elle se revoyait vivre sa vie, sa rencontre, sa descente en enfer.
Pourtant, lorsqu’elle l’avait épousé, elle était éprise de lui. Leur rencontre avait été un feu d’artifice d’émotions. Elle se demandait aujourd’hui dans quelle mesure, sa maladie n’avait pas contribué à cette explosion de sentiments ; la vie était belle, la vie avait toutes les nuances de l’arc-en-ciel auprès de lui. La vie était intense, vibrante, la vie était folle d’amour.
Mais, avec le temps, elle comprit que l’amour ne suffisait pas pour soutenir un couple. La vie avec un partenaire bipolaire est un combat de chaque instant, une danse effrénée au rythme des hauts et des bas émotionnels. C’était comme être emporté par un tourbillon d’euphorie et d’énergie, épuisant à suivre.
Diagnostiqué bipolaire dès son plus jeune âge, il avait l’assistance de psychiatres, mais ces derniers avaient échoué à le stabiliser. L’homme charmant, attentionné et serviable dont elle était tombée amoureuse pouvait se transformer subitement en quelqu’un d’impulsif, capable d’agir avec une désinvolture dangereuse, de gaspiller son salaire en achats compulsifs ou, comme Icare, de voler près du soleil avec ses ailes de cire. Les lendemains étaient douloureux, avec des phases dépressives où il absorbait tel un trou noir toute la joie alentour. Sa vie était un tumulte, ballottée par les fluctuations de ses humeurs, comme sur un manège à sensations fortes. Une montagne russe s’émotions.
Elle s’était documentée sur la bipolarité et avait lu de nombreux témoignages de conjoints de personnes atteintes. Une phrase l’avait particulièrement marqué : « Malheureusement, je ne suis ni un médicament ni une béquille pour mon épouse ; je l’accompagne seulement. » Cette acceptation de sa propre impuissance finit par s’ancrer en elle, surtout après la naissance de leur enfant.
Longtemps, son désir de maternité fut freiné par la crainte de transmettre ce trouble psychiatrique à son enfant et celle de fonder une famille dans un contexte aussi instable. Malgré ses précautions, elle se retrouva enceinte à 35 ans. Face aux risques, il refusa l’option d’une interruption de grossesse. Elle porta l’enfant à terme, pétrie de culpabilité, sachant que s’aventurer sur le terrain de la génétique était totalement aléatoire.
Quand il a perdu son emploi en raison de ses problèmes de santé mentale, la précarité financière est devenue un facteur aggravant sur le plan familial. Il a commencé à boire, l’alcool contrecarrant les effets du traitement médicamenteux, ses crises devinrent de plus en plus fréquentes et violentes. Souvent, elle avait besoin de fuir avec son enfant dans le couffin, loin de la tempête émotionnelle de son mari. Les intervalles de calme et de connexion sincère devinrent de plus en plus rares et le quotidien devint rapidement invivable. Elle se rendit à l’évidence ; elle ne pouvait élever correctement son fils dans un climat aussi conflictuel.
La décision irréversible de procéder au divorce n’a pas été prise à la légère. Elle ne fut pas seulement le résultat de l’accumulation des crises — elle fut un acte de survie. Un choix douloureux, celui de privilégier la sécurité de son enfant au grand amour qu’elle avait pour cet homme complexe et souffrant.
Dans la salle d’audience, elle se tient droite, avec la dignité du désespoir. Son cœur, tambourinant contre sa poitrine comme pour échapper à l’étau de la fatalité, lui rappelle le parcours épineux de sa demande. Elle connaissait l’histoire que recouvraient ces vieux murs de cette salle d’audience, l’histoire des juges résistant à l’évolution des droits des femmes, au Code qui protège aujourd’hui la famille, mais que certains refusent encore d’appliquer. Devant elle, un homme de loi, juge conservateur, tenant fermement aux commandes de la tradition, opposant un front rigide à la clarté du nouveau Code. Le Code de la famille de 2004 était un phare d’espoir pour les femmes du Maroc, un engagement à réformer la législation de manière à assurer plus d’équité et de protection. Pourtant, quinze ans après, des juges comme celui que Lina avait en face d’elle n’ont cessé de s’appuyer sur les anciennes pratiques pour entraver son application. Une résistance qui résume le parcours du combattant que doivent mener les femmes marocaines pour revendiquer leurs droits. Pourtant, après maintes tergiversations, et à cause du trouble psychiatrique de son mari, le juge n’eut d’autre choix que de prononcer le divorce.
La garde de son fils lui est accordée, mais son mari, en dépit de son incapacité à contribuer efficacement à l’éducation de l’enfant, conserve la tutelle. Ce paradoxe juridique la prive de l’autorité nécessaire pour officialiser des décisions comme le transfert scolaire de son fils, l’ouverture d’un compte bancaire ou l’obtention d’un passeport… démontrant une lacune flagrante dans le système de tutelle. Dans la frustration d’être à la merci d’un époux défaillant à cause de la maladie, elle perçoit l’écho de milliers de voix parentales qui réclament justice dans les entrailles du système judiciaire.
Après le divorce, son mari persista à la retenir, mais elle résista, décidée à reconstruire sa vie loin de l’instabilité. Elle était prête à avancer, à rire et à créer des souvenirs plus doux avec son enfant. Des souvenirs aussi doux qu’une grasse matinée sous la couette avec son fils dans les bras, aussi doux qu’une journée de plage avec la caresse du vent sur la peau ou le sable chaud sous les pieds. Elle essayait de créer un foyer où les éclats de rire et les moments de tendresse s’enchaînent sans crier gare à des tempêtes de confusion ou de chaos. Malgré cela, elle n’empêcha pas le père d’exercer son devoir de parentalité. Il rendait visite à son fils aussi souvent qu’il le désirait. Aussi profonde que soit sa maladie, elle savait qu’il aimait son enfant et ne voulait pas rompre ce lien indispensable à l’épanouissement de son fils. Âgé de presque 5 ans, Anis avait déjà remarqué le comportement bizarre de son père et elle lui avait délicatement expliqué que son père était « malade ». Tôt ou tard, le fils serait confronté au trouble de son père, autant l’y préparer avec douceur. Viendrait le temps des questions et se poserait la question de l’hérédité, mais pour l’instant, elle gérait les problèmes jour après jour du mieux qu’elle pouvait.
La situation se compliqua davantage lorsque son mari fut hospitalisé en psychiatrie et devint inaccessible, la mettant face à l’impossibilité de recueillir sa signature pour le transfert scolaire, un acte pourtant essentiel pour la proximité de l’école de son nouvel appartement. Elle demanda de l’aide à son beau-frère, qui était autorisé à lui rendre visite. Ce dernier refusa catégoriquement de lui transmettre l’autorisation à signer. Sa belle-famille lui gardait encore rancune du divorce et lui imputait une grande part dans l’aggravation de l’état de son ex-mari. Son beau-frère lui signifia clairement qu’il ne lui faciliterait pas les démarches et qu’elle devait se débrouiller toute seule pour trouver une solution. Enfin, il la prévint que si elle tentait de déchoir son frère de la tutelle de son fils, il se porterait volontaire en tant qu’oncle et qu’avec lui, les arrangements seraient plus difficiles. Elle n’était pas prête à entamer une deuxième bataille judiciaire dont l’issue était peu probable et qui traînerait à cause du délai des procédures. Le temps judiciaire ne tient pas compte des urgences dans la prise de décision.
Désemparée, elle alla présenter clairement la situation à la directrice de l’école française pour laquelle postulait son fils. La directrice se révéla, contre toute attente, être une personne attentive et bien informée des problèmes de tutelle au Maroc. Elle était elle-même une Française ayant épousé un Marocain, mais refusant de se convertir à l’islam. Dans ce contexte, elle n’avait aucun droit sur ses enfants selon aucune logique parentale. Grâce à son soutien, elle obtint un délai supplémentaire d’un mois pour ramener l’autorisation dûment signée par le père.
Heureusement, quelques semaines plus tard, son mari sortit de la clinique psychiatrique où il était interné. Dans la clarté d’une conscience éphémère, il lui donna ce qu’elle était venue chercher : l’autorisation de transfert signée. Une victoire à la Pyrrhus qui n’a été rendue possible que grâce à la bonne volonté de la directrice elle-même sensibilisée aux problèmes de tutelle. Un simple compromis dans la longue série d’obstacles que les femmes doivent surmonter.
Son parcours illustre à la fois la complexité de vivre avec la bipolarité et la difficulté de s’aligner sur un système judiciaire parfois déphasé. Malgré les avancées législatives du Maroc en matière de droit familial, des individus tels qu’elle continuent de se heurter à des pratiques désuètes qui peinent à reconnaître la pleine humanité et les besoins des femmes et des enfants. En effet, selon le code de la famille marocain, dans les cas où les maris sont mentalement malades, hospitalisés ou incarcérés, la tutelle peut être déléguée à d’autres membres de la famille, en particulier aux proches parents ou aux frères du mari. Cette délégation de tutelle vise à assurer la protection et la prise en charge des intérêts de la famille en l’absence du père. Il est important de noter que la tutelle n’est pas automatiquement transférée à la femme dans de tels cas.
En attendant, le psychologue impassible, assis en face d’elle, prenait des notes. Elle avait finalement atterri dans un cabinet, livrant sa souffrance à un parfait inconnu. En plus de la loi, elle avait besoin de se réparer elle-même. Les pansements de silence qu’elle avait posés sur ses traumatismes s’avéraient inefficaces. « Pourriez-vous m’aider, docteur ? »
Avis de l’expert :
Ghizlane Mamouni, avocate et Présidente de Kif Mama Kif Baba
Je pense que le régime actuel de la tutelle légale constitue une forme de terrorisme juridique, institutionnel, à l’encontre des femmes et surtout des enfants, comme nous le montre l’exemple déchirant de cette maman protectrice et de son fils.
Ce régime, organisé dans les articles 229 et suivants du code de la famille, prévoit que la tutelle, c’est-à-dire, le pouvoir de prendre toute décision juridique au nom et pour le compte de l’enfant mineur (choix de l’école, établissement de documents d’identité, voyage à l’étranger, acceptation ou refus d’actes chirurgicaux, gestion d’épargne ou de biens, etc.), est assurée en premier lieu par le père. Dans les cas, expressément prévus par la loi, où le père ne peut assumer cette tutelle pour cause de décès, d’absence, de perte de capacité ou « pour tout autre motif », la tutelle reviendrait à la mère, nous indique l’article 238 du code de la famille.
Cependant, cette maigre miette de droit, jetée aux mères à titre dérogatoire, s’écrase trop souvent contre le mur des résistances dogmatiques des juges, dont le pouvoir d’appréciation est souverain et qui sont davantage soucieux de préserver l’idéologie patriarcale plutôt que l’intérêt supérieur de l’enfant. Au lieu d’utiliser le large spectre de possibilités que leur laisse le texte de 2004 : absence ou perte de capacité du père et même « tout autre motif », pour attribuer la tutelle à la mère, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant et de lui seul, la plupart des juges vont s’acharner à considérer que le père, même absent à ses devoirs, même incapable, reste malgré tout Le tuteur absolu. Ce qui alimente le manque de confiance des mères dans l’institution judiciaire.
Dans notre cas, la maladie psychiatrique sévère (qui doit être prouvée) empêche clairement le père d’assumer la tutelle de son enfant, mais est-ce que les juges l’entendront de la sorte ? J’ai personnellement suivi, récemment, un cas analogique où les magistrats ont considéré qu’un père qui n’a pas vu son enfant depuis neuf ans, qui ne répond à aucune demande de sa mère depuis tout autant d’années, qui ne daigne pas se présenter à aucune audience de justice le concernant, qui ne paye pas la pension alimentaire régulièrement… reste, malgré tout, un père présent.
Ma confiance dans la capacité des tribunaux à protéger nos enfants est largement érodée par les tendances jurisprudentielles actuelles, autant en matière de garde et de tutelle que de pédo-criminalité.
Mais ce n’est pas le pire. Comme le craint cette maman protectrice, le fait que les menaces de l’oncle de son enfant puissent être qualifiées de chantage et soient donc susceptibles de poursuites pénales, n’empêche pas que le père a effectivement la possibilité, à tout moment de sa vie, de désigner un tuteur testamentaire de son choix qui sera en charge de prendre toutes les décisions concernant l’enfant… Ce risque alimente davantage la peur de cette maman d’aller vers une confrontation en justice.
En résumé, la combinaison des dispositions du code de la famille, leur manque de précision mais aussi leur interprétation patriarcale par les juges, perpétue un système de domination des femmes par les hommes, surtout en matière de tutelle et de garde ou la parentalité exacerbe la confrontation des droits et devoirs et, par conséquent, le besoin de domination masculine.