Pourquoi les filles brillent-elles à l’école…pour disparaître après ?

Aicha Zaïmi Sakhri, Directrice de publication

Elles réussissent mieux que les garçons, décrochent plus de diplômes, dominent certaines filières universitaires. Et pourtant, une fois sorties de l’école, les filles se heurtent à un monde du travail qui ne veut pas d’elles. Le dernier rapport du CSEFRS met en lumière un paradoxe révoltant : l’école marocaine promet l’égalité, mais continue de fabriquer l’invisibilité des femmes .

On a tellement répété que, c’est bon, on y est enfin, les filles vont à l’école, qu’on fini par y croire! C’est loin d’être faux. Les chiffres sont là : au Maroc, elles sont presque à égalité avec les garçons dans le primaire, elles sont même majoritaires dans certaines filières universitaires. L’indice d’éducation des femmes a fait un bond spectaculaire entre 1990 et 2022. Et pourtant…

Et pourtant, les filles réussissent mieux, mais s’en sortent moins bien. Elles étudient davantage, mais travaillent moins. Elles sont diplômées, mais enfermées. Car l’école, censée les émanciper, reste un lieu où l’inégalité se fabrique silencieusement.

Un lieu où les stéréotypes de genre persistent, subtilement distillés dans les manuels scolaires, les pratiques, les attentes. Et un lieu d’où, même brillamment diplômées , les jeunes femmes trouvent les portes de l’emploi fermées ou à peine entrouvertes.

C’est tout le paradoxe que révèle le « rapport du CSEFRS, publié en juillet 2024, sur « L’égalité hommes-femmes dans et à travers l’éducation ». Un rapport très riche et dense. Qui dit ce que beaucoup taisent. Qui met des chiffres sur ce que des générations de filles ressentent confusément. Et qui montre que le cœur du problème, ce n’est plus l’accès à l’école. C’est ce qu’on y apprend. Et surtout ce qu’on y désapprend.

Car l’école ne neutralise pas les stéréotypes. Elle les recycle et les transmet.

Dans les discours, tout le monde (enfin presque) est pour l’égalité. Dans les faits, les filles continuent d’apprendre à se faire petites, gentilles, appliquées. Le rapport est clair : les programmes ont été révisés, les manuels retouchés, mais les stéréotypes sexistes persistent dans les contenus scolaires.

On y apprend encore, hélas, que maman cuisine, papa travaille. Que la fille aide, soigne, range. Que le garçon pense, agit, décide. Les rôles sociaux y sont figés. Les femmes sont représentées dans des métiers “compatibles” avec leur féminité supposée : enseignante, infirmière, mère. Rarement ingénieure. Jamais leader.

Pire encore : les enseignant·es ne sont ni formé·es ni outillé·es pour déconstruire ces normes. On continue à orienter les filles vers des filières dites “littéraires”, à valoriser leur docilité plutôt que leur ambition. Résultat ? Une féminisation des filières qui n’ouvrent pas aux meilleurs emplois. Et une scolarité certes achevée ou presque, mais pas émancipatrice.

Il faut oser le dire : le système éducatif marocain ne forme pas à l’égalité, il la perpétue. Il produit des inégalités « banalisées », dissimulées derrière des chiffres qui évoluent dans le bon sens, mais violentes dans leurs conséquences à long terme. Il apprend aux filles à intérioriser leur place. À ne pas déranger. À viser “raisonnablement”.

Ce qui se joue à l’école commence bien avant la salle de classe. Le rapport met en lumière ce qu’on savait déjà, mais qu’on peine encore à reconnaître : les filles, surtout en milieu rural, ont deux journées.

Une première à l’école, une autre à la maison. Elles étudient, mais font aussi le ménage. Elles font ou essayent de faire leurs devoirs, mais cuisinent aussi. Elles apprennent plus ou moins, mais aident à domicile. Plus de la moitié des filles rurales sont assignées à des tâches domestiques, en plus de leurs devoirs scolaires. Le message est clair : tu peux aller à l’école, mais n’oublie pas qui tu es, et ce qu’on attend de toi.

Dans ces conditions, comment rivaliser avec un garçon qui a du temps, du soutien et l’encouragement à réussir ? Et comment croire que la réussite scolaire se joue uniquement au mérite ? L’école ne peut pas faire semblant d’ignorer ce contexte. Elle ne peut pas prétendre à l’équité quand elle fait comme si la maison était neutre. Elle ne l’est pas, il ne faut pas se leurrer !

Mais la pire des violences, c’est ce qui se passe après une scolarité réussie en dépit des embûches ! Le rapport est sans ambiguïté : quatre ans après l’obtention d’un diplôme supérieur, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être au chômage ou inactives. Leur insertion professionnelle est plus lente, plus fragile, plus incertaine. Et ce, alors même qu’elles réussissent mieux dans leurs études.

C’est l’un des constats les plus révoltants : les femmes sont formées, mais pas intégrées. Le système investit en elles, puis les abandonne au seuil du marché du travail.

Les employeurs les redoutent : trop jeunes, trop inexpérimentées, mariées ou en voie de l’être, donc potentiellement enceintes, donc trop instables. Pas rentables. En fait, comprendre : ce n’est pas leur place, ni leur rôle, ni leurs devoirs prioritaires.

Cette différence entre réussite scolaire et insertion professionnelle est l’un des plus grands échecs du système éducatif envers les filles. Il leur vend un rêve, une possibilité, puis « on » leur claque la porte au nez. Il leur donne des diplômes ! Mais « on » les condamne à la dépendance.

Cette injustice « silencieuse », peut-être plus que d’autres, est révoltante ! Les jeunes filles la ressentent confusément, la vivent, la portent. Et finissent par l’intégrer et la trouver normale.

Et ce système est d’autant plus injuste qu’il pénalise davantage celles qui cumulent les désavantages : les filles pauvres, rurales, sans soutien familial. Celles qui, même avec un diplôme, ne parviennent pas à rompre le cercle de la précarité. Celles pour qui l’école n’a été qu’un sursis.

L’approche intersectionnelle du rapport montre que toutes les filles ne sont pas égales dans l’inégalité. Certaines cumulent : pauvreté, isolement, analphabétisme parental, discriminations multiples. Et dans les zones les plus marginalisées, la promesse de l’éducation comme levier social reste un mirage.

Alors, que faire ?

Ce rapport démontre que ce n’est pas un problème de chiffres mais de contenu, de méthodes d’enseignement et de transmission.

Il n’est pas une critique stérile mais se veut comme une alerte. Et surtout, comme un appel !

Un appel a revoir les programme, a relire les manuels, a former les enseignant·es à l’égalité et a intégrer le genre comme une grille d’analyse transversale et non comme une case à cocher.

Mais c’est aussi un appel à la société tout entière. Car l’école n’est pas isolée. Elle reflète les mentalités, les peurs, les résistances. Tant que les familles considéreront que la réussite des filles est secondaire, l’école ne pourra pas tout corriger. Tant que le marché du travail exclura les femmes sans raison, l’école produira des frustrations au lieu d’espoirs.

Alors oui, il faut construire des écoles véritablement égalitaires. Qui montrent d’autres figures, d’autres possibles. Qui préparent les filles à être puissantes, libres, autonomes. Et qui apprennent aux garçons à accueillir cette puissance, sans peur, sans sentiment de domination.

Car ce n’est pas aux filles de faire plus. Ce n’est plus a elles de culpabiliser!

C’est au système d’arrêter de les trahir.

Notre pays a besoin de toutes ses forces !

 

*Rapport du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) : « L’égalité hommes-femmes dans et à travers l’éducation », juillet 2024.  

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Direction artistique : Domizia Trenta
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Directrice de la publication : Aïcha Zaïmi Sakhri

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Aïcha Zaïmi Sakhri

Dossier de presse numero 26/2023

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